L'importance du numérique dans notre société est manifeste et l'a été encore plus dans cette récente période de crise sanitaire. Alors qu'il s'agit d'un domaine en plein développement, offrant des emplois rapidement, des carrières intéressantes et des revenus confortables, force est de constater que l'univers informatique est conçu, développé, installé et maintenu par une population très homogène d'hommes blancs issus de catégories socioprofessionnelles supérieures (Collet, 2019). Depuis les années 2000, la part des femmes dans les métiers de l'informatique n'a cessé de chuter pour stagner aujourd'hui aux alentours de 15% en Europe alors qu'elle était au moins de 30% jusqu'aux années 1980. Quand on considère les branches les plus en pointe des métiers du numérique (les star-ups, l'intelligence artificielle, la cybersécurité) le chiffre peine à atteindre les 10%. On constate dans le numérique le phénomène inverse qui est à l'œuvre dans l'enseignement, tel que l'a étudié Cacouault (2007) : quand un champ de savoir prend de la valeur dans le monde social, il se masculinise. Dans le domaine de l'informatique, on est passé d'une activité de programmation autodidacte, mal payée et féminisée à un savoir universitaire reconnu, très demandé sur le marché de l'emploi, rémunérateur et masculin (Abbate, 2012).
Parallèlement, l'association ICT-Formation professionnelle Suisse annonce une pénurie de 40'000 spécialistes à l'horizon 2026 et les femmes constituent, en Suisse comme en Europe, un vivier de compétences jusqu'à présent peu mobilisé. C'est pourquoi quand la Conférence intercantonale de l'instruction publique (CIIP) définit des axes d'éducation par et pour le numérique à l'école obligatoire et post-obligatoire, les questions « genre » ne sont pas loin, même elles continuent à être déléguées aux cantons. La formation des enseignant-es est un passage obligé, si on souhaite augmenter la mixité des métiers du numérique. Or une préconisation de 1993 de la CIIP indique : « L'égalité des sexes est un thème qui doit obligatoirement figurer dans le programme de formation des enseignants. ». Cette préconisation justifie de croiser l'enseignement du numérique et les question genre en formation d'enseignant-es.
L'outil qui va être présenté ici : la toile de l'égalité (Collet, 2018) est inspirée de la toile de l'équité de Claudie Solar (1998), issue de la pédagogie féministe (Solar, 1992). Cet outil est utilisé en formation d'enseignant-es primaire et secondaire à Genève et vise à transformer la pratique enseignante vers une pédagogie de l'égalité qui est une forme de pédagogie critique. Le propos de cette communication est de montrer comment une pédagogie de l'égalité peut être appliquée dans les différents axes de l'éducation par et pour le numérique à l'école :
- l'éducation aux médias numériques,
- l'éducation aux usages numériques (en particulier : l'impact de la non-mixité sur le développement de l'intelligence artificielle)
- L'initiation à l'informatique
Bibliographie
Abbate, Jane. (2012). Recoding gender: women's changing participation in computing. Cambridge : MIT Press.
Cacouault-Bitaud, M. (2007). Professeurs... mais femmes: Carrières et vies privées des enseignantes du secondaire au XXe siècle. Paris: La Découverte.
Collet, Isabelle. (2018). Dépasser les éducations à : vers une pédagogie de l'égalité en formation initiale d'enseignant·es. Recherches féministes 31(1), 179-199.
Collet, Isabelle. (2019). Les oubliées du numérique. Paris : Le Passeur.
Solar, Claudie. (1998). Peindre la pédagogie sur toile d'équité. In C. Solar, Pédagogie et équité. (pp.25-67). Montréal : Éditions Logiques.
Solar, Claudie (1992). Dentelle de pédagogies féministes. Revue canadienne de l'éducation 17(3), 264-285.