Le sujet dialogique dans les processus de biographisation : de l'insécurité linguistique à l'émergence du transclasse
Frédéric Moussion  1@  
1 : Université Paris 13
Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis

La complexité générée par notre « société du risque » (Beck, 2001) a engendré une mise à l'épreuve permanente des individus, ces derniers étant désormais en proie à une insécurité chronique. À l'heure où les individus sont sommés d'être ou de devenir « maîtres et possesseurs de l'histoire de leur vie » (Delory-Momberger, 2003, p.51) alors que les vaincus, les opprimés, sont « dépouillés de leur parole, de leurs moyens d'expression, de leur culture ( Freire, 1974, p. 131), nous souhaitons, à travers cette communication, explorer les espaces de dialogue possible, afin de les concevoir comme une « rencontre des hommes pour «dire» le monde » (p.129) dans la mesure où « le dialogue n'impose pas, ne manipule pas, ne domestique pas, n'utilise pas de slogans » (p. 162).

« La théorie de l'action dialogique », considère que « les sujets se rencontrent pour transformer le monde dans une co-opération » pour « agir sur la réalité » (pp. 161-163), cette dernière ne pouvant être réduite au « monde de base, acquis au cours de la socialisation primaire » (Berger, Luckmann, 2018, p14) ; le sujet ne peut-il pas alors envisager, tout au long de son existence, et ce, à travers une « franchise, ouverture de parole, ouverture d'esprit, ouverture de langage, liberté de parole, ... le fait de tout dire » (Foucault, 2001, p.348) ? ; ce sujet parrèsiaste (Foucault, 2009) ne fait-il pas également écho au « sujet dialogique » (Freire, 1974) où « l'homme est d'abord un projet qui se vit subjectivement » (Sartre, 1968, p.23), et ce, à travers le langage, qui « s'impose comme réalité première », en tant que « réservoirs de significations » (Berger, Luckmann, 2018, p.226) ? De quelle manière peut-on ainsi appréhender voire modéliser, à l'aune des processus de biographisation, ces espaces de risque indéterminé, où le « sujet dialogique », en proie à une possible insécurité linguistique, envisage de faire preuve de parrêsia ?

Faisant directement écho à la théorie de l'action dialogique de P. Freire qui « exige le « déchiffrement du monde» (p. 163), nous souhaitons adopter, afin de répondre à l'ensemble de ces interrogations, une perspective interactionnelle, où les individus sont susceptibles d'avoir un pouvoir d'agir sur leur propre insécurité linguistique ; nous éloignant délibérément des recherches quantitatives (Labov, 1976 ; Bourdieu, 1982), nous tenterons de mettre en exergue une « insécurité agie », c'est à dire « nécessairement enracinée dans une expérience affective d'ordre individuelle » (Moreau, 1997) ; cette dernière nous permettra de mettre en lumière les éventuels phénomènes d'hypocorrection, que nous considérons, à ce stade de notre recherche, comme caractéristique du transclasse, c'est à dire « d'un sujet travaillé par des contradictions ouvertes ou souterraines » (Jacquet, 2014, pp.156-157), « le passage d'une classe à un autre laissant des traces que l'on peut observer chez des personnes qui s'insèrent dans des groupes sociaux différents » (De Gaulejac, 2016, p.25).

Afin d'étayer notre raisonnement et nos éventuelles conclusions, nous prendrons appui, à l'issue de notre phase exploratoire, sur des données recueillies, sous la forme d'une dizaine d'entretiens biographiques, dans un premier temps, au sein d'un groupe apprenants en FLE au sein du DU réfugiés de Paris 13, puis, par la suite, auprès de personnes se définissant, ou non, comme transclasse.



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