Appel à communication

Éducation, genre et migration : 

opportunités et menaces dans un contexte de montée des discours de haine en ligne

Appel

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Si la fin du XIXème et le XXème siècles se sont caractérisés par un capitalisme industriel et un nationalisme à l’origine de longs conflits meurtriers à l’échelle mondiale, le XXIème siècle se trouve, quant à lui, défié par les plus grands mouvements migratoires transnationaux (Wihtol de Wenden, 2018). Dans ce contexte mondial marqué par l’augmentation des migrations internationales liées au terrorisme, à divers conflits, aux catastrophes environnementales etc., les sociétés démocratiques sont interpellées sur leur capacité à garantir un droit universel à l’éducation (proclamé par l’article 26.1 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme), des conditions de scolarisation adéquates et de réussite à toutes et tous les enfants. En effet, selon l’UNESCO, 15% des enfants dans le monde n’étaient toujours pas scolarisés au primaire en 2000, même si ce chiffre s’est établi à 9% en 2014 (Institut de statistique de l’UNESCO). Il convient dans la même perspective de rappeler que les filles, les personnes handicapées et les enfants en zone de conflit seraient les plus affectées par la déscolarisation (Institut de statistique de l’UNESCO ; eAtlas de l'UNESCO sur les enfants et les jeunes non scolarisés ; UNICEF, 2016).

 Relevons par ailleurs d’importantes mutations sociétales dans certaines régions du globe, à l’instar de l’espace méditerranéen, l’Amérique Centrale (plus encore que du Sud), la frontière Sud des États-Unis avec le Mexique entre autres, qui sont passées de terres d’accueil de migrant∙e∙s ou d’exilé∙e∙s à des régions productrices de main d’œuvre migrante à bas prix, parfois l’inverse, et ce, en l’espace de quelques années tout juste (Wihtol de Wenden 2013, 2017, 2018).

 Un projet d’inclusion à l’épreuve des inégalités en éducation

 D’une manière générale, l’enjeu de l’inclusion scolaire pour tou∙te∙s réaffirmé par les instances internationales au siècle dernier, s’est globalement traduit par des politiques éducatives visant à plus d’inclusion et d’inclusivité. Mais la nouvelle donne géopolitique et les nouveaux déplacements massifs compromettent bien des luttes pour l’accès de tou∙te∙s à une scolarisation, pourtant souvent obligatoire. Malgré la démocratisation scolaire et l’élargissement de l’accès aux études secondaires et universitaires pour les classes populaires (dans les sociétés occidentales notamment), ces politiques d’inclusion  se sont en effet accompagnées d’une reconfiguration des inégalités scolaires (Duru-Bellat & Kieffer, 2008 ; Merle, 2002 ; CNESCO, 2016 ; Felouzis & Fouquet-Chauprade, 2015), à resituer dans un contexte de massification scolaire, d’accroissement/diversification des flux migratoires et d’essaimage à l’échelle mondiale du mode de gouvernance néolibéral de l’école (Laval et al., 2011). Dans ce mouvement, l’exclusion des plus vulnérables peut parfois se conjuguer avec le difficile accès de certain∙e∙s migrant∙e∙s aux nouvelles technologies leur permettant par exemple d’apprendre une nouvelle langue, de se géolocaliser via un smartphone, ou encore d’accéder à différents autres services utiles à leurs insertion et intégration sociales.

 Au total, si le XXème siècle a posé l’éducation comme un droit universel et une liberté, le XXIème siècle continue d’interroger ce droit dans les espaces interstitiels (espaces d’exception, zones de conflits, camps de réfugié∙e∙s…) où il se verrait menacé tout en réaffirmant plus que jamais l’éducation comme une nécessité (Chelpi-den Hamer et al., 2010). L’intégration économique de la personne, indépendamment de son sexe, genre et de son origine géographique, sociale ou religieuse sous-tend désormais les initiatives nationales et internationales sans que, pour autant, nous ne puissions cesser de déplorer l’exclusion des plus vulnérables. Celle-ci s’exprime au croisement de plusieurs rapports sociaux et se décline dans des formes plurielles d’inégalités, de racismes et/ou de discriminations racistes, homophobes, ou anti LGBTQI, désormais saisies et mises en lumière par de nombreuses recherches, notamment qualitatives (Bartlett, Rodríguez & Oliveira, 2015 ; Fournier et al., 2018 ; Patterson & Leurs, 2019…). Mieux encore, ces inégalités et exclusions épousent des voies multiples et surtout des modes opératoires de plus en plus sophistiqués, à l’instar des discours de haine en ligne.

 Un projet d’inclusion à l’épreuve de la montée des discours de haine en ligne

 De ce point de vue, aussi bien en Europe, qu’en Amérique latine, mais également dans d’autres parties du monde, Internet et les réseaux sociaux propagent des rumeurs et des infox en visant par exemple et particulièrement le dénigrement des études de genre (Kuhar & Paternotte, 2018 ; Gallot & Pasquier, 2018). Mentionnons un des versants les plus sombres de ces nouveaux espaces, devenus des lieux d’expression et de diffusion de la haine à caractère xénophobe, raciste, sexiste ou contre les minorités de genre et de sexualité.

 Alimentées par l’innovation technologique, ces agressions et méthodes d’un nouveau genre, tel que le cybersexisme (Ikiz, 2018 ; Couchot-Schiex, Moignard & Richard, 2016), agissent comme une catégorie de pouvoir servant à disqualifier sur les réseaux sociaux, toute forme de mobilisations ou mouvements d’émancipation et d’empouvoirement ou de capacité d’agir responsable (« empowerment ») de groupes minoritaires. Plus largement, elles sont au service de manœuvres politiques, comme on a pu le voir à travers la diffusion de fake news lors des récentes campagnes électorales présidentielles en 2016 aux USA, en 2017 en France, ou encore en 2018 au Brésil (par exemple, la rumeur de distribution d’un « kit gay » aux enfants du primaire, etc.).

 Ces phénomènes provoquent une inquiétude de la part des pouvoirs publics en Europe ou des organisations internationales, concernant la diffusion des discours de haine en ligne, ainsi que l’illustre la réalisation en 2017 d’un ouvrage soutenu par le Conseil de l’Europe intitulé : Les contre-récits pour combattre les discours de haine. En France, la législation vient renforcer la formation des personnels enseignants et éducatifs ainsi que celles des élèves à la lutte contre les discours de haine en ligne, grâce à la proposition d’une loi « visant à lutter contre la haine sur Internet ».

 Aux États-Unis, inspirée par Paulo Freire, dans le sillage de bell hooks, mais également de Douglas Kellner et Jeff Share s’est développée une pédagogie critique des médias. La formation des enseignant∙e∙s dispensée à l’université de Californie à Los Angeles (UCLA) illustre cette approche, de même que certaines initiatives telles que le « Critical Media Projet ». Cette perspective s’intéresse à la manière dont les groupes socialement privilégiés ou au contraire socialement discriminés sont représentés dans les médias. Elle décrit plus globalement la manière dont les médias peuvent contribuer à alimenter les discours de haine.

 La pédagogie critique face aux défis contemporains

 Deux décennies après les secondes rencontres internationales du Forum Paulo Freire  portant sur « La méthode Paulo Freire et les nouvelles technologies » (2000), le moment semble opportun de repenser Freire dans un contexte de passage du web 1.0 à 2.0, à partir d’une réflexion autour des opportunités et des menaces que ce contexte représente en matière d’éducation à l’inclusion (de migrant∙e∙s, des personnes de tout genre, sexualités, de groupes sociaux racisés, de personnes jugées vulnérables, empêchées d’accès à l’éducation ou à la formation…).

 Les propositions attendues pourront représenter différents territoires et terrains, pratiques et analyses tentant de répondre à certaines des questions suivantes :

 OPPORTUNITÉS :

- Comment la pédagogie critique, d’inspiration freirienne, est-elle susceptible d’inspirer toutes les éducations à nouvelles, qu’il s’agisse d’une éducation au genre antipatriarcale, une éducation à une écocitoyenneté soutenable, une éducation critique et soutenable aux médias et à l’information etc. ? Quel est le legs d’une pédagogie critique adaptée ?

- Quels apports de la pédagogie freirienne face aux discours de haine en ligne ?

- Quelles opportunités pour la pensée freirienne dans la co-régulation internationale en matière d’éducation inclusive ?

- Quelles pédagogies critiques pour quelles responsabilités à l’ère de l’université dite intégrale (Lison, 2019), également à l’ère Anthropo/Capitalo/cène ? Quelles « vigilances éthiques » pour une éducation des et aux écrans ?

 MENACES :

- L’éducation à l’ère « cybériste » poursuit-elle un projet d’éducation bancaire 3.0, sous emprise de la 5G ? Internet serait-il un outil de plus favorable à une éducation bancaire transnationale et transmédia ?

- Le paradigme smart (phone, cities… ) accorde-t-il une place à une pédagogie critique ou serait-il au contraire l’un des multiples pare-feux à la pensée critique ?

- Éducateurs∙trices sans frontières ou frontières sans éducation, quelle géopolitique de l’oppression par l’exclusion ?

 Références bibliographiques :

 Bartlett, L., Rodríguez, D. & Oliveira, G. (2015). Migration and education: Sociocultural Perspectives, Educação e Pesquisa, 41(spe), p. 1153-1171.

Catarino, C. & Morokvasic, M. (2005). Femmes, genre, migration et mobilités, Revue européenne des migrations internationales, vol. 21, n°1 [En ligne].

Chelpi-den Hamer, M., Fresia, M. & Lanoue, É. (2010). Éducation et conflits : Les enjeux de l'offre éducative en situation de crise, Autrepart, vol. 54, n°2, p. 3-22.

CNESCO (2016). Les inégalités sociales et migratoires sociales et migratoires. Comment l’école amplifie-t-elle les inégalités ? Rapport scientifique. [En ligne].

Couchot-Schiex, S. (dir.), Moignard, B. (dir.) & Richard, G. (2016). Cybersexisme et cyberviolences, une étude sociologique dans des établissements franciliens. Paris, Centre Hubertine Auclert, Observatoire régional des violences faites aux femmes.

Cortesão, L., Silva, R., Neves, F. & Vieira, C. (2012). Identity(ies), citizenship(s) and migration: A complex relationship, Encyclopaideia, vol. 16, n°33, p. 51-70.

Duru-Bellat, M. & Kieffer, A. (2008). Du baccalauréat à l’enseignement supérieur en France : déplacement et recomposition des inégalités, Population, vol. 63, n°1, p. 123-158.

English, L. & Mayo, P. (2019). Lifelong learning challenges: Responding to migration and the Sustainable Development Goals, International Review of Education, vol. 65, n°2, p. 213-231.

Felouzis, G. & Fouquet-Chauprade, B. (2015). Les descendants d’immigrés à l’école. Débats, questions et perspectives, Revue française de pédagogie, vol. 191, n°2, p. 5-10.

Fournier, C., Hamelin Brabant, L., Dupéré, S. & Chamberland, L. (2018). Lesbian and Gay Immigrants' Post-Migration Experiences: An Integrative Literature Review, Journal of Immigrant & Refugee Studies, vol. 16, n°3, p. 331-350.

Frau-Meigs, D., Velez, I. & Flores, J. (2017). Public Policies in Media and Information Literacy in Europe. Cross-country comparisons. Londres & NY, Routledge.

Frau-Meigs, D. (2019). Faut-il avoir peur des fake news* ? Paris, La documentation française.

Gallot, F. & Pasquier, G. (2018). L’école à l’épreuve de la ‘théorie du genre’ : les effets d’une polémique : Introduction, Cahiers du Genre, vol. 65, n°2, p. 5-16.

Guénif-Souilamas, N. (2005). « 45. Femmes, immigration, ségrégation ». In : Margaret Maruani (éd.). Femmes, genre et sociétés. L'état des savoirs. Paris, La Découverte, p. 389-397.

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Ikiz, S. (2018). Les violences à l’encontre des femmes sur les réseaux sociaux, Topique, vol. 143, n°2, p. 125-138.

Kellner, D., & Share, J. (2007). Critical media literacy: Crucial policy choices for a twenty-first-century democracy, Policy Futures in Education, vol. 5, n°1, p. 59-69.

Kofman, E. (2004). Genre et migration internationale. Critique du réductionnisme théorique, Les cahiers du CEDREF, 12, p. 81-97.

Jornada « Paulo Freire em tempos de Fake news » (Du 11 au 14 avril 2019). URL : https://www.eadfreiriana.org/jornada-pftfn/

Kuhar, R. & Paternotte, D. (dir.). Campagnes anti-genre en Europe. Des mobilisations contre l’égalité. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2018.

Latour, A. de et al. (2017). Alternatives Les contre-récits pour combattre le discours de haine. Strasbourg, Éditions du Conseil de l'Europe.

Laval, C., Vergne, F., Clément, P., Dreux, G. (2011). La nouvelle école capitaliste. Paris, La Découverte.

Lison, C. (2019). « La pédagogie à l’Université : enjeux et pratiques ? », Quelle place pour la pédagogie en BU ?, Journées nationales des formateurs, Lille, 24 et 25 janvier.

Merle, P. (2002). La démocratisation de l’enseignement. Paris, La Découverte.

Patterson, J. & Leurs, K. (2019). ‘We Live Here, and We Are Queer!’ Young Adult Gay Connected Migrants’ Transnational Ties and Integration in the Netherlands, Media and Communication, vol. 7, n°1, p. 90–101.

Pereira, I. (coord.) (2019). Anthologie internationale de pédagogie critique. Vulvaines-Sur-Seines, Éditions du Croquant.

Romão, N. P. (2019). Pedagogia da oprimida: a contribuição feminina para o pensamento pedagógico brasileiro. Tese em Educação. São Paulo, Universidade Nove de Julho.

Torres, C. A. (2009). Globalizations and Education. Collected Essays on Class, Race, Gender, and the State. New York, Teachers College Press (Columbia University).

UNICEF (2016). La situation des enfants dans le monde 2016 : l’égalité des chances pour chaque enfant. New York, UNICEF.

Wihtol de Wenden, C. (2013). Les nouvelles migrations. Lieux, hommes, politiques. Paris, Ellipses.

Wihtol de Wenden, C. (2017). La question migratoire au XXIème siècle. Migrants, réfugiés et relations internationales. Paris, Presses de sciences-po, 3ème édition entièrement actualisée.

Wihtol de Wenden, C. (2018). Atlas mondial des migrations : un équilibre mondial à inventer. Paris, Autrement, 5ème édition.

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